(de dr. à g.) Frédérique Chollet (LAPP) et Renaud Vernet (CC-IN2P3)
Comme beaucoup, j’ai côtoyé la physique des particules avant de m’orienter très vite vers les sciences de l’ingénieur. J’en garde une curiosité pour les enjeux scientifiques de l’IN2P3. Je fais « depuis toujours » partie du service informatique du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de Physique des Particules. Mon parcours m’a ouvert de multiples horizons allant de l’acquisition et traitement en temps réel jusqu’au « Grid Computing » pour les expériences LHC. Même avec des objectifs à très long terme, l’exigence au quotidien des collaborations internationales, l’évolution des technologies, les échanges entre collègues, tout nous incite à aller de l’avant. C’est encore le cas aujourd’hui dans le cadre de LCG-France.
Le projet a été initié en 2004 par l’IN2P3/CNRS en collaboration avec l’IRFU/CEA. Il a pour objectif de répondre aux besoins de calcul des expériences LHC en France et de maintenir opérationnels au sein de WLCG (Worlwide LHC Computing Grid), les différents centres de type Tier-1 au CC-IN2P3 et Tier-2/Tier-3 (type mésocentre) présents à l’IRFU et dans les laboratoires IN2P3 concernés. J’ai eu la chance de participer au montage et à la gestion du projet dès 2006 en tant que responsable de l’animation Tier-2/Tier-3 en collaboration avec Fabio Hernandez du CC-IN2P3, à l’époque responsable technique LCG-France.
Responsable technique du projet, l’équipe LCG-France
En 2010, Fairouz Malek du Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie de Grenoble, responsable scientifique LCG-France, Dominique Boutigny alors directeur du CC-IN2P3 et Etienne Augé, Directeur Adjoint Scientifique en charge de la Physique des Particules et du Calcul à l’IN2P3 de l’époque, m’ont fait confiance pour prendre la suite de Fabio Hernandez. J’ai accepté avec enthousiasme et confiance de prendre la relève pour 4 ans. L’enthousiasme était porté par l’annonce des premières données LHC, la confiance liée à la maturité du projet et une certaine idée du travail en équipe. Trois ans après, je suis restée dans le même état d’esprit… à quelques nuances près.
Le « tandem » avec Fairouz Malek fonctionne depuis de nombreuses années ; toutes les deux avons appris à « pédaler ensemble ». Nous faisons équipe avec Renaud Vernet, responsable du calcul LHC au CC-IN2P3 depuis le départ de Pierre Girard, et Yannick Patois de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien de Strasbourg qui assure la coordination du forum technique des sites. Même si cela n’est jamais évident, au fil des ans l’équipe LCG-France a réussi à se renouveler, au moins en partie et c’est en soi un signe de bonne santé !
Les temps forts, mon rôle au quotidien
Chaque année, la vie du projet est marquée par des temps forts : en septembre, l’estimation et l’annonce des pledges, c.a.d les engagements pris au niveau international, vis-à-vis de la collaboration WLCG, en janvier, l’attribution du budget obligeant à réviser les prévisions faites à l’automne.
Dans un autre ordre d’idée, je participe à l’organisation des deux sessions annuelles des rencontres LCG-France et la cinquantaine de participants réguliers contribue à en faire des moments privilégiés.
Mon rôle au quotidien, quel est-il vraiment ? J’ai un rôle d’animation et de suivi au sein de LCG-France. Je suis aussi en contact avec WLCG. Cela m’oblige à relayer beaucoup d’informations, organiser bon nombre de réunions. J’ai à cœur de tout faire pour qu’elles soient, sinon fructueuses, au moins intéressantes pour ceux qui y participent. Il faut oser des propositions et tenter des synthèses, entendre les remarques et tenter d’en tenir compte, reprendre et reprendre encore certains sujets problématiques ou n’ayant pas abouti. Parfois je me retrouve à gérer des épiphénomènes par mél alors qu’une bonne organisation projet devrait nous donner le temps de traiter des sujets de fond. Comme quoi, rien n’est parfait…
Solliciter les experts m’oblige à fouiller les sujets en amont et saisir leurs explications rapidement. Le monde du réseau est longtemps resté à mes yeux un monde d’experts, un peu à part, avec plein d’acronymes. Le calcul LHC a bousculé cette vision et je ne compte pas le nombre de questions posées à Jérôme Bernier et aux membres de l’équipe Télécom du Centre de Calcul. Au bout du compte, c’est très intéressant, satisfaisant parfois, mais cela demande pas mal d’énergie !
La communauté LCG-France
L’une des réussites est sans conteste d’avoir su mobiliser une communauté d’ingénieurs et physiciens autour du calcul LHC. Administrateurs de sites, experts calcul, et équipes du Centre de Calcul ont l’habitude de travailler en réseau. Le projet doit aussi aider à « exporter à l’international » le travail nourri en interne. Le bénéfice en retour est toujours important même si trop peu d’ingénieurs franchissent le pas en s’insérant par exemple au sein de groupes de travail WLCG, HEPix, EGI.
LCG-France a également noué avec RENATER et les équipes réseau de l’IN2P3 et du CEA, une collaboration déterminante. L’infrastructure LHCONE déployée fin 2011 permet aujourd’hui de distribuer à haut débit les données vers les sites régionaux (Tier-2/Tier-3) et ouvre de nouvelles possibilités de gestion du stockage et des données. C’est l’un des événements phares de l’année 2012.
Les différentes phases du projet
Après une phase de genèse des sites entre 2004 et 2008, la mise en production progressive de l’infrastructure a vu l’engagement des sites de l’IPHC, du CPPM et du LPSC en tant que Tier-2 de WLCG et a permis d’établir le calcul LHC en France à un niveau d’environ 10 % du calcul mondial.
Aujourd’hui, la composante Tier-1 du CC-IN2P3 assure le stockage sur bande d’une partie des données mondiales et participe aux campagnes de reconstruction. La petite dizaine de sites Tier-2/Tier-3 français a un rôle au moins aussi important, en contribuant à la simulation Monte Carlo et à l’analyse des données réduites et fournissant par-là, autant ou presque d’heures de calcul par an que le Centre de Calcul.
L’année 2012 a marqué un tournant faisant apparaître la nécessité de maitriser le coût opérationnel du calcul LHC. En effet, rien que le renouvellement des ressources (CPU, Disque, bandes) arrivant en fin de garantie a été estimé à près de 1,8 M€ par an. A la demande de la direction de l’IN2P3, un plan financier a été établi pour évaluer le support apporté par LCG-France, l’effort restant à la charge des sites. Cette démarche n’a cependant pas apporté toutes les réponses pour faire face à l’avenir.
10 ans bientôt et après…
La montée en puissance du LHC et la fin des projets européens qui ont soutenu le développement de l’infrastructure actuelle vont provoquer d’importants changements sinon des bouleversements à court ou moyen terme.
Peut-on réellement faire face à des besoins de calcul multipliés par 2 à l’horizon 2015 alors que le calcul devra dans le meilleur des cas fonctionner à budget constant ? Des optimisations sont possibles (achats informatiques, utilisation des ressources, performances des services et des logiciels, gestion des données…). Des opportunités existent (transition multithread/multicœur, reconversion temporaire des fermes HLT, utilisation de ressources extérieures HPC par ex…) et certaines évolutions technologiques annoncées sont prometteuses (Cloud, fédération de stockage, réseaux géographiques...). Bien évidemment, les modèles de calcul des expériences vont être révisés à la lumière de toutes ces possibilités. Mais entre nous, cela reste un sacré défi.
L’autre mutation annoncée concerne la couche de composants middleware qui permet d’intégrer l’ensemble des ressources distribuées au sein d’une seule et même infrastructure et qui assure aussi l’interface entre les environnements logiciels des expériences et les sites. Il faut évoluer vers une solution moins complexe, plus standard et un modèle de développement et de support collaboratif. N’oublions pas non plus que LCG-France dépend aujourd’hui du cœur opérationnel de l’infrastructure de production France Grilles. Il existe un certain nombre d’expertises et de services communs (sécurité, accounting, monitoring, helpdesk, autorité de certification) à toutes les communautés utilisatrices dont il faut impérativement assurer la pérennité à long terme.
En 2014, LCG-France fêtera ses 10 ans. Pour moi, l’épopée du projet reste motivante mais il faudra aussi savoir passer la main dans de bonnes conditions le moment venu.
Frédérique CHOLLET