A perte de vue, de minuscules fleurs jaunes tapissent le sol sablonneux et irrégulier de la Pampa Amarilla. Pas un arbre, une colline ou une maison alentour. Seule la Cordillère des Andes se détache au loin de l’immensité plane, écrasée par le soleil, de cette région du centre de l’Argentine. Cahotante et poussiéreuse, la route de terre qui relie Malargüe, la ville la plus proche avec ses 25 000 habitants, à cinq heures du premier aéroport, celui de Mendoza, semble interminable.
Quand soudain, à quelques mètres du chemin, apparaît une cuve cylindrique en plastique ocre pâle. A peine moins haute qu’un homme, elle est surmontée d’antennes hertzienne et GPS et d’un panneau solaire. En scrutant l’horizon, on distingue au loin d’autres cuves. Incongrue, leur présence ne le reste pas longtemps pour qui sait que cette terre aride n’est pas seulement un lieu d’élevage extensif, mais accueille aussi le plus grand observatoire au monde de “rayons cosmiques ultraénergétiques”, l’observatoire Pierre Auger.
Un peu de physique et d’histoire...
Pierre AugerPierre AugerLes rayons cosmiques ? Notre planète en est sans cesse bombardée. Chaque seconde, plusieurs milliers de ces invisibles rayons pénètrent chaque mètre carré de notre atmosphère. Une fois n’est pas coutume, ce sont les Anglo-Saxons qui ont proposé de nommer l’observatoire du nom d’un Français ! Un hommage au physicien Pierre Victor Auger (1899-1993), mondialement connu dans les domaines de la physique nucléaire et des rayons cosmiques avant la Seconde Guerre mondiale. Pionnier, il a été le premier, dès 1938, à prédire l’existence de grandes “gerbes atmosphériques”, des gerbes de particules que provoqueraient les rayons cosmiques de très hautes énergies frappant notre atmosphère.
Au lendemain de 1945, il joua un rôle déterminant dans le développement de grandes institutions internationales, tels le Cern (le Laboratoire européen pour la physique des particules, à Genève) ou l’Unesco. C’est donc avec cet observatoire unique au monde que l’on pourrait enfin détecter les grandes gerbes atmosphériques engendrées par ces particules d’énergies beaucoup plus élevées que celles que peuvent leur conférer les accélérateurs construits par l’homme et ça grâce à un réseau de 1600 détecteurs de particules Cherenkov à eau, espacés d’1.5 kilomètres, qui s’étendent sur une surface de 3000 km2 (30 fois la supérficie de Paris). En plus, 24 télescopes observent la lumière fluorescente produite par la gerbe lors de son passage dans l’atmosphère dans une nuit sans lune. Cette combinaison de détecteurs permet une étude optimale et très précise de ces rayons cosmiques aux énergies >1019 électronvolts (eV).
L’Observatoire Pierre Auger est le plus grand instrument consacré à l’étude des rayons cosmiques. Il regroupe des chercheurs de 17 pays et de plus de 70 institutions, dont une partie importante sont des chercheurs du CNRS et des universités françaises (de cinq laboratoires de l’IN2P3 et d’un laboratoire de l’Insu). L’observatoire a été construit par plus de 370 chercheurs et ingénieurs, pour un montant total d’environ 40 millions d’euros. Il est situé dans la province de Mendoza, en Argentine. Le CNRS est le principal organisme français de financement de l’observatoire.
Si l’Américain Jim Cronin (prix Nobel) et l’Anglais Alan Watson sont à l’origine de l’observatoire, Murat Boratav, professeur au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (LPNHE -CNRS/IN2P3, Universités Paris 6 et 7) en est le pionnier en France et les chercheurs français sont nombreux à participer à la collaboration Auger.
L’infrastructure du système d’informations
Un système de communication sur mesure
AUGER : Un des 4 tours de communicationAUGER : Une des 4 tours de communicationLe système de communication a été conçu par l’Université de Leeds (Département Electronique/Radio) et offre deux types d’interconnexions de communication entre les tours, les cuves et l’observatoire :
Connexion WLAN (1.2Kbps – 915MHz ISM band) entre les cuves et les 4 tours du site ;
Connexion haut-débit (16 canaux de 2.048Mbps chacun – 7GHz band) de type E1 micro-onde « point-to-point » entre les 4 tours sites et la tour centrale de l’observatoire. 4 pour les détecteurs de fluorescence (FD) et 2 pour les détecteurs de surface (SD) et le service/maintenance.
AUGER : Une des 4 tours de communication
Chaque SU (unité de transmission/réception radio au niveau de chaque cuve) « discute » avec le BSU (unité de transmission/réception radio/E1 au niveau de chaque tour) le plus proche et peut envoyer par seconde 1 seul packet de 1200bits. Dans chaque tour, il y a entre 5 et 6 BSUs qui couvrent un réseau d’une soixante de SU et peuvent chacun envoyer un broadcast aux SU (1-2 paquet par seconde), soit environ 2-3Mbps. Chaque tour envoie les données des réseaux détecteurs (télescopes et les cuves) à la tour centrale de l’observatoire par TCP/IP.
CDAS : le chef d’orchestre
Le système central d’acquisition de données (CDAS) d’AUGER est installé à l’observatoire à Malargue fonctionnant avec une ferme de serveurs de calcul et des baies de stockage de données. Le CDAS consiste principalement en la gestion des “triggers” et des évènements, le contrôle des processus et le stockage des données des détecteurs d’AUGER, le tout fonctionnant dans une infrastructure de système d’informations utilisant des matériels commerciaux et des applications de haut-niveau développées localement. Le fait que le CDAS ne soit pas un système d’acquisition de temps-réel a permis un développement d’un système à la fois simple, rapide et robuste dans ce type d’application.
Le CDAS a un rôle central celui de combiner les informations “trigger” émises par les détecteurs de surfaces (les 1600 cuves) et ceux des “yeux” de la fluoresence (les 24 téléscopes) pour former un “central trigger” (T3-trigger), puis de demander aux détecteurs qui ont enregistré les données utiles (ceux qui sont dans le “run”) formant ce “trigger” (T3data) pour finalement construire selon des modèles physiques de correspondance et stocker ces données avec une signature temporelle bien précise sous forme d’un évènement AUGER appelé un “shower event”.
Parmi les processus du CDAS, on pourrait citer principalement trois processus d’entre eux qui forment le coeur même du système d’acquisition :
le “Postmaster” (Pm), celui qui joue le rôle d’aiguilleur de paquets (entre le réseau des détecteurs et le CDAS) et de gestionnaire d’évènements ;
le “Central Trigger” (Ct), celui qui va analyser et combiner en vol les informations “trigger” des deux réseaux de détecteurs (T2) pour former le “trigger” central (T3) après application d’une des combinaisons “cross trigger” pour validation ;
le “Event Builder” (Eb), celui qui va construire et stocker l’évènement AUGER (“shower event”) final après la combinaison et le traitement des différentes informations venant de Pm, de Ct et du réseau de la fluoresence ;
AUGER : Schéma de la DAQAUGER : Schéma de la DAQ
La topologie système et réseau
Le CDAS fait travailler en continue une ferme de quatre serveurs de calcul, deux baies de stockage de données de plus 6To en RAID-5 et un réseau gigabit avec des routeurs et des switchs de type CISCO qui interconnecte les réseaux de détecteurs avec l’intranet de l’observatoire. Quotidiennement les données brutes locales AUGER sont répliquées automatiquement plusieurs fois par jour sur deux sites dans le monde, un au FERMILAB (USA) et l’autre au centre de calcul IN2P3 (Lyon, FRANCE), en plus d’être sauvegardées localement.
Un système complexe et autonome de gestion de surveillance et d’alertes du CDAS fonctionne en permanence et une synérgie de travail des experts (locaux et extérieurs) pour la maintenance permettent de garantir une continuité des prises de données et une stabilité des activités en production.
Quelques dates clés
1991 : le Projet Pierre Auger a vu le jour lors de International Cosmic Ray Conference à Dublin, initié par Alan Watson et Jim Cronin (Nobel Prix en 1980)
1996 : le site de Malargüe a été choisi pour l’hémisphère sud
1998 : un engineering array de 32 cuves pour la R&D pour la valider la faisabilité du projet
Février 2001 : 1ère connexion réseau de télécommunication E1 (Cisco 2600) avec un des 4 tours du site.
12 Août 2001 : 1er évènement provenant des détecteurs de surface (4 cuves)
2002 : début de l’installation et de la production des cuves
Janvier 2004 : 1ère prise de données, > million de rayons cosmiques mais 27 seulement sont >60EeV
Été 2005 : 1er résultat physique Auger
Juin 2008 : Dernier cuve installé avec l’eau et l’électronique, nous sommes à 1660 installés.
Pour en savoir plus
www.auger.org : Official Auger Web Portal
lpnhe-auger.in2p3.fr : LPNHE’s Auger France Web Page
www.auger.org.ar : Southern Site Web Page (Malargue, Argentina)
www.augernorth.org : Northern Site Web Page (Colorado, USA)
auger.cnrs.fr : CNRS’s Auger France Web Page
Richard Randriatoamanana (LPNHE)