-Quelles sont les missions de l’expérience AMS ?
AMS (Alpha Magnetic Spectrometer) est le plus complet des détecteurs de particules jamais construits pour l’espace : 7,5 tonnes, 4 mètres de haut, 5 mètres de large pour 300 000 canaux et une consommation de 2.5 kWatts. Ce concentré de technologies aura pour mission de traquer tous les signes possibles de l’existence des composantes les plus mystérieuses de la matière dans l’univers, parmi lesquelles l’antimatière, la matière noire ou encore la matière étrange. A côté des sujets évoqués ci-dessus, la mesure précise par AMS du flux des rayons cosmiques, particules élémentaires et/ou noyaux d’atomes, apportera une moisson d’informations sur les mécanismes de propagation et d’accélération des rayons cosmiques en jeu dans notre galaxie et sur les objets célestes qui les produisent.
Pour ce faire, il faut pouvoir identifier les rayons cosmiques qui bombardent en permanence la terre. En effet, l’univers est parcouru par des milliards de particules chargées de toute nature : protons, électrons, positons, antiprotons ou encore noyaux d’atomes. Ces particules et noyaux portent en eux des informations sur l’histoire de notre univers et sur ce qui le compose. Mais en entrant en collision avec notre atmosphère, ils sont détruits avant d’arriver au sol. Pour les étudier, il faut donc aller dans l’espace, au-delà de l’atmosphère. C’est pourquoi l’expérience AMS a été installée sur la station spatiale internationale (ISS) le 19 mai 2011 à bord de la navette Endeavour dont c’était l’ultime mission. AMS est l’unique grande expérience de physique embarquée à bord de l’ISS . L’expérience restera en orbite autour de la terre à 400 kms d’altitude, pour au moins la durée d’un cycle solaire (11 ans).
AMS est le fruit d’une large collaboration internationale réunissant près de 600 chercheurs, avec une très importante participation européenne. La construction, en incluant la première phase (AMS01) a débuté en 1996. Quatre laboratoires de l’IN2P3/CNRS ont participé depuis le début à la conception, la construction, la qualification et à la préparation des analyses : le LAPP, le LPSC, le LUPM et le CCin2p3. Elle est dirigée par Samuel C.C. Ting, Professeur au M.I.T., Prix Nobel de Physique.
- En quoi consiste AMS ?
AMS, véritable observatoire des rayons cosmiques, est un instrument unique réunissant les techniques d’instrumentation de physique des particules pour l’exploration de l’infiniment petit, et celles permettant de résister aux contraintes extrêmes dues à un envoi et à un fonctionnement dans l’espace. Le cœur du détecteur est un aimant permanent cylindrique de 1,15 mètres de diamètre intérieur qui courbe la trajectoire des particules chargées le traversant, grâce à son champ magnétique de 1500 Gauss, (environ 5000 fois le champ magnétique terrestre). La trajectoire des particules est mesurée par 9 plans successifs de détecteurs en silicium, permettant une précision de 10 microns sur chaque point. Reste à identifier la nature des particules en mesurant leur charge électrique, leur masse et leur énergie avec la plus grande précision. C’est le rôle d’un ensemble de détecteurs que les particules vont croiser successivement sur leur chemin : détecteur à radiation de transition, détecteur de temps de vol, détecteur Cherenkov à imagerie annulaire et calorimètre électromagnétique. Ainsi constitué, AMS est capable d’identifier un positon parmi 1 million de protons et de couvrir le domaine d’énergie des rayons cosmiques du GeV (un milliard d’électronvolts) au TeV (1000 milliards d’électronvolts). AMS améliorera d’un facteur 100 à 1000 la sensibilité de détection par rapport aux expériences précédentes. Un de ses grands atouts est d’identifier les particules de plusieurs façons, ce qui lui permet d’avoir des mesures complémentaires et d’accroitre ainsi son potentiel de découverte.
- Quelles sont les particularités des données d’AMS en terme de transmission et flux ?
Dans le cas des instruments spatiaux, les données et les commandes sont transférées entre l’ISS et la terre via des communications entre les satellites et les stations terrestres, en utilisant deux types de bandes de fréquences : Ku band (10.9-14 GHz) et S band (2-3 Ghz).
Les données ne sont pas publiques et la collaboration d’AMS en a l’unique usufruit, elles sont regroupées en trois catégories :
Les données scientifiques sont les plus volumineuses, elles constituent la réponse des détecteurs. Elles transitent par la voie Ku ( bus Ethernet RS422, 70 % de cycle utile ) avec un débit de minimal de 10Moctets/s ce qui représente 20% de la bande passante totale disponible sur l’ISS, la taille moyenne d’un événement étant en moyenne de 2000 Octets et la fréquence moyenne de déclenchement est de 700 Hz (mais peut atteindre 2KHz au pôles ou au dessus de l’anomalie sud atlantique), le flux moyen de données est d’environ 2 Mo par seconde
Les données type Slow Control (contrôle des températures, pressions, consommation électrique) et les commandes (qui permettent de dialoguer avec AMS et changer ou lire par exemple des paramètres) transitent aussi par la voie Ku mais avec un autre protocole de bus communément utilisé dans l’avionique (1553B bus), ces opérations peuvent s’effectuer en moins d’une minute. Les données Slow Control sont nécessaires pour contrôler le bon fonctionnement de l’instrument et doivent être suivies en ligne. Si par exemple les températures dépassent les domaines de fonctionnement, des actions peuvent être menées pour éviter tout endommagements irréversibles. Le volume de ces données représente en moyenne 10 kOctets/s.
les données dites critiques ou Critical Health Data (CHD). Il y a eu un accord entre la NASA et AMS pour garantir le transfert de ce type de données vitales pour suivre le bon fonctionnement de l’instrument. Le volume de données est limité à 10 octets/s. Ces transferts se font sur la S band avec un cycle utile garanti supérieur à 90 %.
- AMS, véritable observatoire des rayons cosmiques, est un instrument unique (© droits réservés).
Le temps utile de transmission est en général de 70 % pour les données type Science, mais il peut arriver que ces données aient un retard de transmission de plusieurs heures, soit par ce qu’il y a une perte de communication avec les satellites (LOS : loss Of Signal), soit parce que des données de la station nécessitent une priorité d’envoi. Dans ces cas là, des mémoires tampons d‘une profondeur de plus de deux jours sont prévues. De plus, les données sont systématiquement copiées sur un ordinateur portable et accessible par les astronautes (AMS Crew Operation Post), la capacité du disque dur est d’un an de données.
- Quels types de calcul sont réalisés dans le cadre d’AMS et pour combien de temps ?
Arrivées sur terre, les données transitent en premier lieu par deux centres américains de la NASA (White Sand au Nouveau Mexique et Marshall Space Center en Alabama) où les données brutes d’AMS qui avaient été mises sous un format spécial de la NASA et « mélangées » avec les autres données de l’ISS sont copiées dans leur format d’arrivée localement (autre backup) puis décodées pour les restituer dans leur format d’origine au centre de contrôle des données (Payload Operation Control Center). Le premier POCC était basé à Houston lors des deux premiers mois de prises de données. Il se trouve à présent au CERN et 5 personnes y surveillent la qualité des données et sont en contact permanent avec la station et la NASA.
On retrouve alors les méthodes habituelles de physique des particules de traitement des données où les données brutes sont reconstruites au CERN où se situe le SOC (Science Operating Center), parallèlement deux autres centres Européens abritent les données brutes et reconstruites d’AMS, le CC-IN2P3 est l’un deux. Les données reconstruites sont pour l’instant trois fois plus volumineuses que les données brutes. Elles sont exploitables sous forme de fichiers ROOT et sont transférées au CC-IN2P3 de manière automatique sous IRODS chaque nuit depuis le CERN, représentant un volume de 700 Go par nuit soit 20 To par mois.
L’expérience va rester sur la station jusqu’à la fin de celle-ci, soit pendant 20 ans. Les équipes de physiciens de l’IN2P3 analysent les données au CC-IN2P3. Dans un premier temps, des outils y ont été développés pour suivre journellement la qualité de données (taux de déclenchement, calibration, températures, etc.), tout cela en utilisant une database SQL. En parallèle, ils ont aussi installé les logiciels de simulation de l’expérience au CC-IN2P3. En 2002, 25% de la production Monte Carlo avait été produite au Centre de Calcul (GEANT3). Cette année, il a été demandé au CC-IN2P3 l’équivalent de 150 cores sur 6 mois pour la simulation (qui utilise à présent GEANT4), ce qui représente la plus grosse contribution par institut, mais une faible fraction du volume annuel de données. Il a été collecté déjà 6 milliards d’événements et l’on attend 15 milliards d’événements par année complète. La simulation Monte Carlo devant représenter au minimum dix fois le volume de données, le CC-IN2P3 sera très prochainement encore plus sollicité !
PROPOS RECUEILLIS PAR GS