n°22
Octobre
2012
Bilan de huit années aux commandes du CC-IN2P3

A l’aube d’une nouvelle vie comme contact informatique de l’expérience LSST sous le soleil californien, et juste avant de confier les rênes du CC-IN2P3 à Pierre-Etienne Macchi, Dominique Boutigny revient sur ses huit années aux commandes du Centre de Calcul.

Il y a pratiquement huit ans, Michel Spiro et François Le Diberder m’ont fait confiance en me confiant la direction du CC-IN2P3. Outre le fait de continuer à fournir les moyens informatiques nécessaires à la mise en œuvre de la politique scientifique de l’IN2P3, la seule mission précise qui m’était confiée était de faire en sorte que le Centre de Calcul devienne un Tier-1 pour le projet W-LCG à hauteur d’environ 10% des ressources internationales nécessaires. Le projet était bien sûr passionnant et les moyens financiers et humains ont été durant plusieurs années à la hauteur de cette ambition.

Le projet LCG est maintenant en régime de croisière au CC-IN2P3 ainsi que dans les Tiers-2 – Tiers-3 français. L’une des clés du succès a certainement été l’excellente collaboration qui s’est établie et qui a perduré entre le CC-IN2P3 et le projet LCG-France. L’autre élément important a été la mise en place d’une démarche qualité au CC-IN2P3 qui a abouti à une rationalisation des procédures. Ce point a été fondamental quand nous avons dû faire face à un afflux de matériel et à une montée en charge des différents services sans précédent. Clairement, le défi du LHC nous a fait franchir une étape, le CC-IN2P3 d’aujourd’hui n’est plus celui de 2005 et nous sommes armés pour faire face à l’arrivée de nouveaux projets de très grande ampleur.

Jusqu’en 2011, nous avons dû gérer une infrastructure atteignant ses limites. Nous avons fonctionné plusieurs années en inventant sans cesse de nouvelles astuces pour maintenir les équipements en fonctionnement à la limite de la disjonction. Heureusement, le Contrat de Projet État-Région nous a permis de financer la construction de la nouvelle salle informatique. L’énorme travail de définition des besoins a certainement été la clé du succès et le budget fut parfaitement respecté. La nouvelle salle est à la pointe de la technologie et offre un atout décisif à l’IN2P3 pour prendre des responsabilités majeures dans le calcul des futures expériences. Je pense notamment aux « upgrades » du LHC et aux grandes expériences d’astroparticule, telles que LSST, EUCLID, CTA, ...

La complexité du calcul dans les expériences est arrivée à son paroxysme avec le LHC, cela a mis en avant deux points importants : le premier est qu’il est maintenant indispensable de recruter des personnes travaillant à la frontière entre la physique et l’informatique et chargées de créer des liens étroits entre les deux mondes. Avec François Le Diberder, nous avons parié sur de jeunes postdocs physicien(ne)s basés au CC et répartissant leur temps entre la recherche dans une expérience et le support informatique. Le modèle serait certainement à affiner, en particulier au niveau de la gestion du temps, mais ces jeunes physicien(ne)s ont eu un impact majeur sur la qualité du service fourni aux expériences. Les finances ne permettent plus de poursuivre cette idée des postdocs au CC-IN2P3, je le regrette mais j’espère qu’un coin a été enfoncé et que l’idée de renforcer les liens entre la physique et l’informatique poursuivra son chemin. Le deuxième point concerne la définition même du rôle de l’informatique dans les expériences ; la complexification du calcul rend certes nécessaire la mise en œuvre de procédures qualité, et des engagements sur le niveau de service rendu (Service Level Agreement), mais le CC-IN2P3 ne doit pas pour autant se cantonner au seul rôle de centre de services. Il est indispensable que nous soyons associés aux expériences en tant que collaborateurs à part entière et ceci dès le début des phases de conception des modèles de calcul. Bien entendu, cette implication dans les expériences nécessite de pouvoir dégager du temps sur les tâches de service, ceci passe par un allègement des procédures techniques, ainsi que par une politique RH adaptée.

La mise en œuvre du calcul pour le LHC est indissociable de la Grille qui a, au travers des projets européens successifs Datagrid, EGEE et EGI, a fourni les intergiciels, les services, les procédures et toute la structure opérationnelle nécessaire. Tout n’a pas été parfait et bien des ambitions en termes de fonctionnalités ont dues être revues à la baisse, mais le succès des analyses du LHC, concrétisées par la découverte d’un Higgs a démontré de manière éclatante la justesse des choix et l’utilité des efforts humains et financiers. Ce qui me frappe le plus dans cette aventure de la Grille, c’est certainement la communauté extrêmement compétente et soudée qui s’est créée en France. Il n’y a qu’à regarder le contenu des échanges sur les listes de diffusion où la participation aux divers colloques organisés par LCG ou par France-Grilles, pour s’en rendre compte.

On constate actuellement que les infrastructures de calcul scientifiques intègrent de plus en plus de services virtualisés et tendent vers un modèle de cloud. Le CERN par exemple, va placer l’essentiel de ses ressources informatiques dans le cloud d’ici à la fin 2013. Ce changement est profond, puisqu’une partie des tâches qui relevaient de l’administration système va basculer sous la responsabilité des utilisateurs qui pourront déployer des infrastructures sur mesure. A nous de prendre ce virage, de repenser le travail des administrateurs système en leur dégageant du temps pour qu’ils se recentrent vers des activités à hautes valeurs ajoutées et de faire en sorte que les structures opérationnelles de la grille qui ont fait leurs preuves, évoluent pour intégrer les clouds.

J’ai toujours été convaincu de la nécessité de construire des passerelles entre les structures de production telles que le CC-IN2P3 et le monde de la recherche en informatique. Le recrutement d’un chercheur en informatique au CC-IN2P3 a été fait dans cette optique et permet un rapprochement effectif entre le Centre de Calcul et d’excellentes équipes de recherche en informatique notamment au Laboratoire de l’Informatique du Parallélisme (LIP). L’ANR SONGS (Simulation Of Next Generation Systems) qui vise à développer des outils de simulation d’architectures informatiques, est un exemple typique de sujet de recherche informatique qui bénéficie de l’apport des experts issus du monde de la production et qui permettra certainement de dimensionner et d’optimiser les infrastructures de demain. De même, l’introduction du parallélisme dans les algorithmes de traitement de données des expériences de physique corpusculaire, étape inévitable si l’on veut tirer parti des architectures à très grand nombre de cœurs, va nécessiter une étroite collaboration avec les chercheurs en informatique.

Quand je regarde l’évolution du budget du CC-IN2P3 et celle des ressources humaines, je constate que malheureusement les effets de la crise économique sont bel et bien présents. En 2012, pour la première fois de son histoire, le CC-IN2P3 n’a connu aucune croissance, les budgets ont tout juste couvert le renouvellement du matériel sorti de maintenance. Il ne faut pas se faire d’illusion, cette situation va perdurer et il faut que le CC-IN2P3 trouve d’autres sources de financement. Dans cette optique, nous avons poursuivi une politique de communication afin de faire connaitre le Centre de Calcul qui était trop souvent perçu comme une tour d’ivoire au sein de l’IN2P3, et de développement de partenariats vers d’autres disciplines et vers le monde industriel. Le pari est risqué car dans cette ouverture, il faut absolument être capable de préserver notre cœur de métier sans « perdre notre âme ».

Comme toute structure scientifique, le CC-IN2P3 a une mission de diffusion de la connaissance, notamment vers les plus jeunes, afin de faire connaître nos métiers et surtout de faire progresser l’intelligence de la démarche scientifique. Il peut être tentant de mettre ses actions entre parenthèses en période de restrictions budgétaires, je suis convaincu qu’au contraire, il faut développer sans relâche cet aspect éducatif, c’est essentiel pour la société.

Le 1er janvier, j’aurai passé le relai à Pierre-Étienne Macchi, je lui souhaite bonne chance et bon courage car la tâche est ardue, mais je sais que le CC sera entre de bonnes mains. En ce qui me concerne, je vais repasser de l’autre côté de la barrière et rejoindre les utilisateurs du CC-IN2P3. J’aurai ainsi profité de cette opportunité passionnante qu’offre le CNRS de diriger un labo pendant quelques années pour retourner finalement au cœur de la recherche. Au-delà de toutes les avancées technologiques dans lesquels le CC-IN2P3 a été acteur et dont j’ai tenté d’être le facilitateur, je retiendrai surtout une incroyable aventure humaine qui m’aura fait avancer sur un plan qui dépasse largement le domaine professionnel.

DOMINIQUE BOUTIGNY