n°29
Novembre
2014
"La responsabilité technique du projet LCG-France fait résonner en moi des mots comme écouter, comprendre, relayer, concilier, ajuster, faciliter et prévoir"

Catherine Biscarat, responsable technique de LCG-France

Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

En quelques mots, je dirais en premier que je suis un "produit" de la Physique des Particules et que je suis très attachée à notre Institut, l’IN2P3. Je suis physicienne de formation mais j’ai très vite été intéressée par des aspects "computing". Mon implication a commencé par des développements de logiciels pour simuler des événements et j’ai aussi participé aux aspects opérationnels pour le traitement des événements sur des fermes de calcul distribuées dans le monde ; ceci sur l’expérience DØ auprès du collisionneur Tevatron, aux Etats-Unis, qui avait alors des données de collisions les plus énergétiques au monde ! C’est au Centre de Calcul de l’IN2P3 que je me suis impliquée dans la grille de calcul pour le LHC, en tant que co-responsable des opérations du T1 français pour ATLAS. Mes années au CC-IN2P3 correspondent à la dernière phase préparatoire du démarrage du LHC et elles ont été riches d’enseignements, tant sur les technologies que sur le vivier d’expertise dont regorge le CC-IN2P3. Avec mes collègues du CC-IN2P3, nous avons dû régler maints "détails" et cela n’a pas toujours été facile mais l’esprit de corps pour faire face aux défis et ce sentiment de résoudre des problèmes pour faire avancer la Science m’ont fait basculer complètement dans le monde de l’informatique. C’est ainsi qu’en 2011 j’ai rejoint le LPSC à Grenoble, un des sites T2 de LCG, où j’exerce la fonction d’ingénieur en informatique et je "baigne" dans les grilles depuis.

En quoi consiste votre nouveau rôle ? Comment l’envisagez-vous ?

Mon nouveau rôle consiste à coordonner l’implication de la France dans la collaboration WLCG qui regroupe les sites participants au calcul pour les quatre expériences du LHC (ALICE, ATLAS, CMS et LHCb) et les expériences elles-mêmes. Un des objectifs de LCG-France est de garantir la contribution de la France au niveau de 8 à 10% du calcul mondial. Pour cela, je suis en contact avec WLCG et l’ensemble des sites français (T1, T2 et T3) pour relayer les informations. Ceci concerne les aspects opérationnels du quotidien mais aussi les évolutions qui pourraient avoir un impact sur les activités des sites français sur un terme plus long. J’ai aussi un rôle de représentation vis-à-vis des instances techniques de WLCG et de nos tutelles. J’ai la responsabilité technique du projet, certes, mais chaque site est autonome et mon rôle consiste à faire le suivi, à favoriser les échanges entre les sites et avec les expériences et à animer la communauté dont je fais d’ailleurs partie depuis suffisamment longtemps pour savoir qu’une de ses richesses est justement le tissu très fort de compétences et de soutien qui s’est développé entre les sites. Je dois ajouter que le succès de notre communauté repose aussi sur l’excellence du réseau RENATER et la bonne collaboration que LCG-France, le CC-IN2P3 et RENATER ont su développer.

Sans parler du projet LCG-France lui-même, l’équipe dans laquelle je m’intègre est déjà bien rodée. Je pense en particulier à Fairouz Malek, responsable scientifique du projet, à Renaud Vernet, responsable du T1 français, et à Pierre-Etienne Macchi, directeur du CC-IN2P3, sans oublier Frédérique Chollet dont je prends la relève et qui est toujours disponible pour répondre aux questions que je lui adresse ! Cette équipe m’aide à appréhender les échéances du projet, comme par exemple l’estimation et l’annonce des ressources des sites dédiées au calcul LHC au niveau international en septembre, l’organisation des Rencontres bi-annuelles des sites dont la prochaine édition aura lieu en décembre, ou la prévision des budgets faite à l’automne.

La responsabilité technique du projet LCG-France fait résonner en moi des mots comme écouter, comprendre, relayer, concilier, ajuster, faciliter et prévoir. Je me rends compte qu’avec les projections des besoins du LHC et le contexte budgétaire actuel, des évolutions sont à prévoir mais j’ai confiance dans le réseau des ingénieurs et des physiciens impliqués à tous les niveaux dans le calcul pour le LHC pour trouver des solutions aux difficultés que nous pourrions rencontrer.

Y a t-il des évolutions prévues dans l’organisation de LCG ?

Oui, effectivement : LCG-France se renouvelle avec l’arrivée de Laurent Duflot, physicien au LAL, au 1er janvier comme responsable scientifique du projet. Nous nous sommes engagés à travailler ensemble à la tête de LCG-France pour les années à venir. Laurent et moi nous nous connaissons de longue date : nous avons déjà collaboré lorsque nous étions à Fermilab et que nous travaillions sur DØ ; lui comme coordinateur "software" et moi comme développeur et responsable "simulation" pour des groupes de physique, un enjeu majeur pour l’expérience à cette époque. Nous avons collaboré dans une dynamique constructive, très motivante et positive.

Je profite de cette question pour ajouter que du côté purement opérationnel, Jérôme Pansanel et moi-même avons aussi eu une réflexion concertée en acceptant simultanément nos rôles respectifs à la direction technique de France-Grilles et de celle de LCG-France. Ayant travaillé sur des projets communs au sein de France-Grilles, nous sommes enthousiastes à l’idée de renforcer la coopération entre les opérations de la NGI française et celles de LCG-France.

Quels sont vos projets pour LCG et quels seront les moments fort pour cette année ?

Cette année va être marquée par le démarrage du Run II du LHC qui est prévu au printemps 2015. On pourrait penser que ce démarrage est simplement la suite du Run I mais il n’en est rien. Fortes des enseignements du Run I, les expériences ont modifié leurs modèles de calcul et les sites doivent maintenant mettre en place les choix techniques retenus. Comme souvent la communication entre les expériences et les sites est primordiale et ces évolutions ont fait l’objet de discussions préalables au sein de WLCG. Certaines de ces évolutions sont directement liées à la physique. Par exemple, les conditions de prise de données du Run II du LHC seront plus complexes qu’au Run I. Il s’en suit une augmentation de la mémoire nécessaire pour traiter les événements alors que les architectures CPU actuelles ont la tendance inverse par coeur. Pour diminuer la consommation de mémoire par coeur, les expériences ont mis au point des algorithmes "multi-threadés" novateurs pour notre domaine et les sites doivent maintenant adapter leurs systèmes de batch. D’autres évolutions sont liées à la simplification des opérations en introduisant des protocoles "standard" plutôt que de développer des solutions spécifiques pour les expériences du LHC. Ces évolutions ont été planifiées et elles sont testées avec des données de simulation, mais l’arrivée des données de collision est toujours un moment fort et reste le test final de ces ajustements.

Nous avons maintenant une expérience de 10 ans de grille et le succès de la découverte du boson de Higgs a été le fruit d’efforts humains et opérationnels considérables. La simplification des services (et des opérations) est un des points qui me tiennent à coeur. Cette réflexion est en cours dans WLCG mais les changements qui vont être mis en place seront progressifs. N’oublions pas que la fonction première des sites est de fournir des services stables et fiables, sans interruption.

J’observe aussi actuellement des évolutions dans la façon dont les expériences envisagent les ressources et intègrent des concepts nouveaux. Je parle ici de calculs opportunistes allant des supercalculateurs avec des cycles vides jusqu’aux ordinateurs personnels dans le cadre du "volonteer computing", ou encore des "clouds" publics ou privés. Certaines expériences du LHC sont déjà avancées dans ces domaines. La grille que nous opérons permet de garantir la reconstruction et l’analyse des données du Run II et les évolutions citées ci-dessus ont le potentiel de fournir des ressources pour publier les résultats de physique plus rapidement et aussi, à plus long terme, d’apporter des solutions à la simplification des opérations de la grille LCG.

PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE DELEBARRE DUTRUEL