Jacques Ganouna aimait à le raconter, alors physicien, il avait eu le choix entre fermer la « calculatrice » de la halle aux vins ou en faire un centre de calcul. C’est Paul Falk-Vairant, directeur adjoint scientifique de l’IN2P3, qui lui avait confié cette mission. La calculatrice ne remplissait plus sa mission pour les chercheurs de notre Institut qui devaient soumettre leurs codes de plus en plus lourds chez IBM, place Vendôme. Jacques Ganouna avait fait un choix, ce n’était pas celui de la facilité ; il fera de la « calculatrice » un des plus grands centres de calcul scientifiques de France, il sera sous la coupole de Jussieu le Patron du CCPN.
« Patron », cette appellation plus coutumière du milieu de la médecine que de celui de la physique, lui allait comme un gant ; il le fut incontestablement pendant tout le reste de sa carrière qu’il consacra exclusivement au Centre de Calcul. Sa convivialité, ce côté protecteur pour son personnel dont il avait à cœur d’offrir les meilleures conditions de travail, la meilleure carrière, cette opiniâtreté à vouloir le meilleur centre de calcul de la discipline en a fait un directeur légendaire, attachant, mémorable. C’est lors d’un recrutement, alors que le terme geek n’existait sans doute pas encore, que je l’ai entendu caractériser ainsi un candidat : « Celui-là, il a un sacré CPU mais côté entrées-sorties c’est pas terrible ! », preuve que pour lui le côté humain et relationnel était des plus importants.
Le Centre de Calcul, Jacques Ganouna l’a créé deux fois, une fois à Paris, une seconde fois à Lyon. L’aventure lyonnaise débute avec la construction d’un bâtiment dont il réglera avec un soin méticuleux les moindres détails. C’était un perfectionniste ; pour lui, l’environnement devait être à la hauteur des machines qu’il hébergeait, c’est-à-dire exceptionnel ! Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, trois cent soixante-cinq jours par an, c’était sa devise. Le moindre « plantage » du système était presque vécu comme un drame et, dans ces moments-là, il aimait venir en salle machine soutenir les ingénieurs. Les week-ends de déménagement ou de changement de configuration, l’interruption de service devait toujours être minimale, on pouvait voir le patron, exceptionnellement sans cravate, s’assurer que le planning serait respecté et que l’on redémarrerait de préférence… avant l’heure prévue !
Alors que sa carrière s’achevait, il vécut une profonde révolution technologique avec le passage d’un système centralisé vers des fermes sous Linux. Jacques Ganouna savait s’adapter, de la CDC 6600 sous la coupole de Jussieu au dernier grand mainframe à La Doua, l’IBM 3090, il avait dû aussi intégrer le réseau privé de l’IN2P3 dans Renater et dans l’Internet dans les meilleures conditions. Il ne craignait pas les mutations technologiques, ses intuitions furent souvent les bonnes, en ce sens il était resté un chercheur.
Cette excellence qu’il a voulue pour le CC-IN2P3, il en a apprécié la continuité lors de l’inauguration de la nouvelle salle machine. « J’ai du mal à me reconnaître, m’a-t-il confié, mais là, c’est encore un cran au-dessus ! » Il y avait de l’admiration dans sa voix, ce fut son dernier passage au CC.
Sur ton cloud, repose en paix Patron !
Daniel CHARNAY